Prescrit depuis 1975 en neurologie comme relaxant musculaire, le baclofène est utilisé depuis une dizaine d'années dans le traitement de la dépendance à l'alcool. Mais, jusqu'à présent, cet usage ne figurait pas au nombre des indications du RCP ni en Belgique, ni en France. Néanmoins, en 2014, l'Agence française de Sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM)1 a accordé une recommandation temporaire d'utilisation (RTU), afin d'encadrer cette prescription hors autorisation de mise sur le marché (AMM). La dose journalière prévue allait jusqu'à 120mg, voire 180mg (maximum 300mg), soit une posologie beaucoup plus élevée que dans les indications classiques du baclofène. Cette dose avait ensuite été abaissée à 80mg/jour, suite à une étude épidémiologique française suggérant que cette molécule était associée à une augmentation dose-dépendante du risque d'hospitalisation et de décès.

Sous conditions

Néanmoins, le 23 octobre dernier, l'Agence française a finalement octroyé une AMM du baclofène dans le traitement de l'alcoolodépendance, suite à la demande du laboratoire Ethypharm pour sa spécialité Baclocur® (baclofène 10mg, 20mg et 40mg). Pourquoi ? " En raison de l'intérêt pour la prise en charge des patients en échec thérapeutique et donc d'un bénéfice pour la santé publique, en prévoyant un suivi renforcé dès sa commercialisation ".

Cette surveillance et l'évolution des données scientifiques permettront, si besoin, de réviser les conditions d'utilisation : " indication dans la réduction de la consommation d'alcool, en complément d'un suivi psychosocial, après l'échec des autres traitements chez l'adulte ; prescription par tout médecin ; augmentation progressive des doses pour arriver à une posologie optimale adaptée à chaque patient, correspondant à la dose la plus faible, pour une bonne réponse thérapeutique et une tolérance acceptable ; posologie maximale de 80 mg/jour ".

Notons, que la RTU est prolongée jusqu'à la commercialisation effective de la spécialité Baclocur® qui devrait être disponible dans les pharmacies françaises à la fin de l'année 2019, le temps d'en fixer le prix et les conditions de remboursement.

La décision a été globalement bien accueillie par le corps médical et les associations, mais certains fustigent le seuil des 80mg/jour qui ne correspondrait pas à la posologie moyenne efficace (autour des 180mg).

Engagement du patient

" En France, explique le Dr Bernard Dor (médecin généraliste et alcoologue), l'utilisation du baclofène dans l'alcoolo-dépendance a fait l'objet de longs débats. Cette reconnaissance est un peu un consensus autour de l'usage clinique du baclofène et le fait que le médicament soit enregistré en bonne et due forme, c'est une sécurité de plus pour le prescripteur ". Chez nous, il n'y a pas encore les mêmes velléités d'obtention d'une AMM.

Chez nos voisins, les recommandations préconisent donc un dosage modéré (80 mg/j). " Dans 75 à 80 % des cas, les patients étaient déjà à 80 mg, et 20 % avaient de hauts dosages, dans des situations cliniques particulières, certains montaient à 200-300 mg. À titre individuel, dans ma pratique clinique, exclusivement tournée vers l'alcoologie, j'ai prescrit pas mal de baclofène, depuis une dizaine d'années. Je fais partie des prescripteurs modérés, je dépasse rarement les 80 mg et j'ai d'excellents résultats ".

L'alcoologue insiste : " Le plus important, c'est l'engagement des patients dans la thérapie, ce qu'ils vont trouver dans le suivi psychosocial. La médication vient en appoint. Les études cliniques sur l'ensemble des médicaments en alcoologie les ont tous jugés d'efficacité faible à modérée. Je dis aussi à mes patients que vu leur problème, un médicament d'efficacité faible à modérée peut être utile. Certains ont des attentes tout à fait irrationnelles, le baclofène n'éteint pas la soif ".

Les conditions de prescription françaises placent le baclofène en seconde intention. " Ce n'est pas l'habitude chez les cliniciens belge. En première intention, il n'y a pas beaucoup de molécules : acamprosate (Campral®), disulfirame (Antabuse®), nalméfène. Pas mal de cliniciens utilisent le baclofène, soit en première ligne, soit par exemple après un échec de Campral (pour le maintien de l'abstinence). Alors que le baclofène est utile et dans les programmes d'abstinence, et dans les programmes de réduction de la consommation ".

Insécurité majeure

La Belgique gagnerait à obtenir cette autorisation de mise sur le marché. " Théoriquement, ajoute-t-il, il y a une insécurité majeure pour le prescripteur puisque nous travaillons 'hors indication'. Ceci dit, je n'ai jamais entendu que l'Inami ou d'autres instances auraient reproché à des médecins de prescrire du baclofène pour cette raison. Il existe une reconnaissance tacite, mais ce serait mieux d'en arriver à un médicament enregistré dans cette indication ".

En 20162, sur la base des données de différentes études montrant que le rapport bénéfice/risque du baclofène était négatif dans le cadre de la dépendance à l'alcool, le Répertoire commenté des médicaments a émis un avis négatif. " Au fil des années, j'ai au moins 300 dossiers baclofène, la plupart à 80 mg ou moins. Je n'ai pas observé d'effets secondaires préoccupants. Donc jusqu'à 80 mg, pour autant que l'on respecte les paliers de prescription, il est remarquablement toléré ".

Le cadre français prévoit également que les médecins soient formés à cette prescription : " C'est fondamental. Tout médecin généraliste en France peut prescrire jusque 80mg et, s'il veut prescrire plus, il doit s'adresser à une équipe pluridisciplinaire en addictologie. À la SSMG, nous avons des formations en addictologie, le praticien qui en a bénéficié peut entamer un traitement à des doses supérieures s'il l'estime utile et nécessaire. C'est lui aussi qui estime s'il doit faire appel à une équipe multidisciplinaire. Nous sommes un peu moins rigides qu'en France, comme pour la méthadone... ".

Drogue miracle ?

" Le baclofène est un phénomène très français et par extension, belge, rappelle Bernard Dor. Les prescriptions dans le monde se font essentiellement en France ".

L'histoire du baclofène est aussi un bel exemple du pouvoir d'internet puisque c'est le grand public qui a " poussé " les médecins à en prescrire dans cette indication : " Les premiers essais du baclofène en matière d'addiction datent des années 1985-1990, mais l'élan médiatique est dû au Dr Olivier Ameisen, un cardiologue franco-américain, alcoolique, qui a décidé de s'administrer du baclofène à forte dose et qui a raconté son expérience dans un livre 'Le dernier verre', paru en 2008. Ce sont les internautes qui ont été voir les prescripteurs et en quelques mois il y a eu la mode du baclofène. Sans internet il n'y aurait pas eu l'histoire du baclofène... "

1. ansm.sante.fr

2. cpib.be, Folia avril 2016 et Folia décembre 2017.

Prescrit depuis 1975 en neurologie comme relaxant musculaire, le baclofène est utilisé depuis une dizaine d'années dans le traitement de la dépendance à l'alcool. Mais, jusqu'à présent, cet usage ne figurait pas au nombre des indications du RCP ni en Belgique, ni en France. Néanmoins, en 2014, l'Agence française de Sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM)1 a accordé une recommandation temporaire d'utilisation (RTU), afin d'encadrer cette prescription hors autorisation de mise sur le marché (AMM). La dose journalière prévue allait jusqu'à 120mg, voire 180mg (maximum 300mg), soit une posologie beaucoup plus élevée que dans les indications classiques du baclofène. Cette dose avait ensuite été abaissée à 80mg/jour, suite à une étude épidémiologique française suggérant que cette molécule était associée à une augmentation dose-dépendante du risque d'hospitalisation et de décès.Néanmoins, le 23 octobre dernier, l'Agence française a finalement octroyé une AMM du baclofène dans le traitement de l'alcoolodépendance, suite à la demande du laboratoire Ethypharm pour sa spécialité Baclocur® (baclofène 10mg, 20mg et 40mg). Pourquoi ? " En raison de l'intérêt pour la prise en charge des patients en échec thérapeutique et donc d'un bénéfice pour la santé publique, en prévoyant un suivi renforcé dès sa commercialisation ".Cette surveillance et l'évolution des données scientifiques permettront, si besoin, de réviser les conditions d'utilisation : " indication dans la réduction de la consommation d'alcool, en complément d'un suivi psychosocial, après l'échec des autres traitements chez l'adulte ; prescription par tout médecin ; augmentation progressive des doses pour arriver à une posologie optimale adaptée à chaque patient, correspondant à la dose la plus faible, pour une bonne réponse thérapeutique et une tolérance acceptable ; posologie maximale de 80 mg/jour ".Notons, que la RTU est prolongée jusqu'à la commercialisation effective de la spécialité Baclocur® qui devrait être disponible dans les pharmacies françaises à la fin de l'année 2019, le temps d'en fixer le prix et les conditions de remboursement.La décision a été globalement bien accueillie par le corps médical et les associations, mais certains fustigent le seuil des 80mg/jour qui ne correspondrait pas à la posologie moyenne efficace (autour des 180mg)." En France, explique le Dr Bernard Dor (médecin généraliste et alcoologue), l'utilisation du baclofène dans l'alcoolo-dépendance a fait l'objet de longs débats. Cette reconnaissance est un peu un consensus autour de l'usage clinique du baclofène et le fait que le médicament soit enregistré en bonne et due forme, c'est une sécurité de plus pour le prescripteur ". Chez nous, il n'y a pas encore les mêmes velléités d'obtention d'une AMM.Chez nos voisins, les recommandations préconisent donc un dosage modéré (80 mg/j). " Dans 75 à 80 % des cas, les patients étaient déjà à 80 mg, et 20 % avaient de hauts dosages, dans des situations cliniques particulières, certains montaient à 200-300 mg. À titre individuel, dans ma pratique clinique, exclusivement tournée vers l'alcoologie, j'ai prescrit pas mal de baclofène, depuis une dizaine d'années. Je fais partie des prescripteurs modérés, je dépasse rarement les 80 mg et j'ai d'excellents résultats ".L'alcoologue insiste : " Le plus important, c'est l'engagement des patients dans la thérapie, ce qu'ils vont trouver dans le suivi psychosocial. La médication vient en appoint. Les études cliniques sur l'ensemble des médicaments en alcoologie les ont tous jugés d'efficacité faible à modérée. Je dis aussi à mes patients que vu leur problème, un médicament d'efficacité faible à modérée peut être utile. Certains ont des attentes tout à fait irrationnelles, le baclofène n'éteint pas la soif ".Les conditions de prescription françaises placent le baclofène en seconde intention. " Ce n'est pas l'habitude chez les cliniciens belge. En première intention, il n'y a pas beaucoup de molécules : acamprosate (Campral®), disulfirame (Antabuse®), nalméfène. Pas mal de cliniciens utilisent le baclofène, soit en première ligne, soit par exemple après un échec de Campral (pour le maintien de l'abstinence). Alors que le baclofène est utile et dans les programmes d'abstinence, et dans les programmes de réduction de la consommation ".La Belgique gagnerait à obtenir cette autorisation de mise sur le marché. " Théoriquement, ajoute-t-il, il y a une insécurité majeure pour le prescripteur puisque nous travaillons 'hors indication'. Ceci dit, je n'ai jamais entendu que l'Inami ou d'autres instances auraient reproché à des médecins de prescrire du baclofène pour cette raison. Il existe une reconnaissance tacite, mais ce serait mieux d'en arriver à un médicament enregistré dans cette indication ".En 20162, sur la base des données de différentes études montrant que le rapport bénéfice/risque du baclofène était négatif dans le cadre de la dépendance à l'alcool, le Répertoire commenté des médicaments a émis un avis négatif. " Au fil des années, j'ai au moins 300 dossiers baclofène, la plupart à 80 mg ou moins. Je n'ai pas observé d'effets secondaires préoccupants. Donc jusqu'à 80 mg, pour autant que l'on respecte les paliers de prescription, il est remarquablement toléré ".Le cadre français prévoit également que les médecins soient formés à cette prescription : " C'est fondamental. Tout médecin généraliste en France peut prescrire jusque 80mg et, s'il veut prescrire plus, il doit s'adresser à une équipe pluridisciplinaire en addictologie. À la SSMG, nous avons des formations en addictologie, le praticien qui en a bénéficié peut entamer un traitement à des doses supérieures s'il l'estime utile et nécessaire. C'est lui aussi qui estime s'il doit faire appel à une équipe multidisciplinaire. Nous sommes un peu moins rigides qu'en France, comme pour la méthadone... "." Le baclofène est un phénomène très français et par extension, belge, rappelle Bernard Dor. Les prescriptions dans le monde se font essentiellement en France ".L'histoire du baclofène est aussi un bel exemple du pouvoir d'internet puisque c'est le grand public qui a " poussé " les médecins à en prescrire dans cette indication : " Les premiers essais du baclofène en matière d'addiction datent des années 1985-1990, mais l'élan médiatique est dû au Dr Olivier Ameisen, un cardiologue franco-américain, alcoolique, qui a décidé de s'administrer du baclofène à forte dose et qui a raconté son expérience dans un livre 'Le dernier verre', paru en 2008. Ce sont les internautes qui ont été voir les prescripteurs et en quelques mois il y a eu la mode du baclofène. Sans internet il n'y aurait pas eu l'histoire du baclofène... "